Une focalisation qui libère (dimanche 7 mai)

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Nous sommes encore dans l’évangile de Jean, mais bien plus loin que la semaine passée, et surtout dans un tout autre contexte : il s’agit maintenant du long « discours d’adieu » mis par Jean dans la bouche de Jésus une fois fait le lavement des pieds. J’ai déjà tenté un commentaire de la première partie de notre passage, le dialogue avec Thomas, Aller vers le père, ainsi qu’un commentaire de la deuxième partie, le dialogue avec Philippe Murmure intérieur.

    Je suis très frappé, à relire ce texte cette fois-ci, par l’attitude de Jésus. Il vient de laver les pieds de ses disciples, c’est-à-dire d’anticiper sa mort : Jean ne raconte pas « d’institution de l’Eucharistie » (comme on dit en anticipant un peu sur la signification postérieure donnée à ce récit), par laquelle il anticipe sa mort, mais il raconte un autre geste qui assume la même fonction anticipatrice. Rappelons-nous en effet que, dans l’esprit du temps, la poussière (nourriture donnée au serpent de la Genèse, « tu te nourriras de la poussière du sol ») est le véhicule des maladies et de la mort : laver les pieds, c’est prendre sur son propre corps, sur ses mains et son visage, la poussière des pieds, c’est transférer sur soi la mort des autres (ou ce qui peut les faire mourir). Le geste n’est pas « purement » symbolique, il a une efficacité reconnue. En faisant ce geste, en assumant cette place à la surprise et à la réticence des disciples, Jésus d’une part assume et anticipe sa mort, d’autre part lui donne sens comme une mort à la place de ceux qu’il aime.

     Maintenant, avec cela en tête, on ne peut qu’être frappé par l’attitude manifestée par Jésus dans ce passage. C’est lui qui encourage ses disciples à ne pas se laisser troubler le cœur ! Et quand Jean écrit « troubler », il s’agit d’un verbe qui signifie un remue-ménage de grande ampleur : il peut aussi bien être employé pour parler du bouillonnement de l’eau ! Ainsi donc, alors même qu’il est lui-même conscient de sa fin imminente, il tient la place de celui qui réconforte ! Voilà qui est bien extraordinaire…

     Quand il dit : « Quand je serai allé… », quand il dit : « … vous savez le chemin. », il ne peut pas ne pas penser à la mort. Comment ne pas frémir intérieurement en prononçant ces mots ? Et c’est sans doute pour cela-même qu’ils ont un côté « euphémisme » : entre amis on parle parfois plus aisément par euphémismes, c’est moins brutal, cela ménage chacun. Ce n’est pas un évitement du réel, ou un déni, mais plutôt une allusion qui suffit à ceux qui se comprennent au-delà des mots : c’est même une forme de complicité entre ceux qui partagent un même secret et portent un même poids.

     Du reste, quand Thomas s’écrie : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas : comment pourrions-nous en savoir le chemin ?! », Jésus répond seulement à la deuxième partie de la remarque, « c’est moi, le chemin ». Mais il se garde de reprendre la première : Thomas en réalité a très bien compris, mais justement il n’est pas tranquille, son cœur est agité -et on le comprend !- et il dit surtout qu’il ne voit pas à quoi tout cela mène. N’est-ce pas la fin ? Et comment réagir devant le fin… C’est un non-sens, apparemment.

     Or c’est là que Jésus parle de foi : « ayez aussi foi en moi », et « c’est moi, le chemin… » Il me semble que c’est inviter à une ré-orientation du regard, ou un ré-ajustement. Si tu regardes ce qui m’arrive, tu es ballotté, remué, dévasté ; mais si tu me regardes, c’est différent. Le chemin n’est pas « ce par quoi je vais passer », le chemin c’est moi. Moi, j’ai confiance en mon père, c’est lui que je regarde : s’il permet ce qui survient, c’est qu’il sait comment à travers tout cela il ne cesse de m’engendrer, moi et tout ce qu’il a fait en moi et par moi et avec moi. Ma focalisation n’est pas une tentative pour « comprendre » (qui serait une manière de dominer), mais purement une attention confiante. Le « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (une parole de psaume que Jean place en dernière parole de Jésus en croix), je le prononce déjà et sans cesse.

      Alors toi, aies la même attitude envers moi : « Vous croyez en dieu, croyez aussi en moi. ». Regarde-moi, sois à l’écoute de ce que je dis, de ce que je sens, des intentions que j’exprime, des projets que je construis (car même ma fin est un projet, je l’anticipe et je lui donne un sens). Aies simplement à cœur de ne pas me laisser seul, à aucun moment. La vie est une grande chose, le cœur humain est une grande chose : aussi fous que puissent paraître mes projets en un instant pareil, crois en moi.

    Quelle leçon de vie ! Et les mots où s’arrêtent notre passage résonnent de manière extraordinaire ici : « Amen amen je vous dis : celui qui croit en moi, les œuvres que je fais, celles-là même il fera, et de plus grandes que celles-là il fera, parce que moi je pars vers le père. » C’est dire clairement que nous n’avons pas à penser que ce qui est dit vaut pour le seul Jésus, parce que c’est lui : nous pouvons oser la même chose, et même de plus grandes, les projets les plus fous, parce qu’il est tout entier « vers le père ».

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