Dimanche 7 mai : entrer et sortir.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

     Nous revoilà avec notre quatrième témoin, Jean. L’évangile qui nous est donné à entendre aujourd’hui fait directement suite à un texte que nous avons ré-entendu il n’y a pas si longtemps, celui de l’aveugle-né. Les deux s’enchaînent, Jésus vient de déclarer aux Pharisiens : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché; maintenant cependant vous dites que « nous voyons », le péché vôtre demeure« . Il vient de leur déclarer cela, et il enchaîne avec cette histoire de brebis, de voleur, de berger et d’étranger.

     Qui plus est, l’enchaînement se fait avec la formule « amen, amen« , que Jean utilise généralement quand il veut appuyer sur une déclaration révélatrice. C’est donc bien que, dans l’esprit de l’évangéliste, il n’y a pas de changement de sujet : au contraire, à l’occasion de la guérison de l’aveugle-né et de la controverse qui s’en est suivie, un ajout important est fait, une porte est ouverte. Et justement, il est question de porte. « Qui n’entre pas en passant par la porte dans l’enclos des brebis mais grimpe par ailleurs est un voleur et un bandit. »

     « Entrer » traduit ici le grec [eiserchomenos], formé sur le verbe [erchomai], venir, aller et le préfixe [eis], qui veut dire dans ou chez, avec une nuance dynamique comme on pousse une barque dans la mer. Cette particule est reprise à peine plus loin : [eis ton aulèn tôn probatôn], dans la cour des brebis. L’aveugle-né a été rejeté par les Pharisiens, qui n’ont pas accepté son témoignage, ni même qu’il ait pu être objet d’une guérison. Au contraire, Jésus parle d’entrer, et dans un lieu où est  l’abri des brebis, ou du moins du petit bétail.

     Les jugements des Pharisiens rejettent, excluent. En se situant comme juges, ils font l’œuvre du juge : ils séparent. Jésus veut au contraire faire entrer. Il a rejeté en toute fin de sa mission le jugement, lors d’un ultime avènement, de sorte qu’il pourra séparer et mettre à part… tous les hommes. Mais il y a entrer et entrer : c’est l’entrant-par-la porte qui arrive dans la cour du petit bétail. Entrer au contraire par escalade constitue le voleur [kleptès -d’où notre cleptomane] et le brigand, ou le pillard, ou encore le pirate ou même l’usurpateur [lèstès]. On voit la progression suggérée : non seulement l’escaladeur va prendre des biens, mais il pourrait bien aller jusqu’à causer du mal, atteindre l’intégrité physique du petit bétail, ou mettre la main sur lui en usurpant l’autorité.

     Mais voilà une surprise : l’entrant-par-la-porte, c’est le berger ! On aurait pu croire qu’il s’agissait d’entrer pour intégrer le troupeau : pas forcément, ou du moins pas comme on l’imagine. Car le berger fait tout de même un peu partie du troupeau : il partage la même vie, il est dans les mêmes lieux, il partage les mêmes conditions de vie. Il a tout de même aussi un rôle à part : il les mène pour qu’elles vivent et se multiplient, il crée les conditions de cela. Il ne veut même pas les tenir dans le cour, enfermées : il veut les faire sortir.

     C’est pour cela qu’il entre par la porte : pour qu’elle leur soit ouverte à elles aussi. Un voleur sortira seul, comme il est entré seul : sinon qu’il sera chargé de son butin. Ce berger ne veut pas enfermer son bétail, il veut le faire sortir ! Pas d’enfermement, pas d’entre-soi, pas d’impasse. C’est cela, la vie : entrer et sortir; rencontrer, faire partie, être accueilli, et aussi découvrir, aller à l’aventure, ne pas être enfermé avec les mêmes…

     Il trace une voie de sortie, en faisant ouvrir la porte au portier, et puis tout se fait à la voix et à la confiance : le bétail écoute [akouei] sa voix, il appelle son bétail à lui par son nom, et il les conduit dehors.

     Les détails sont d’une grande simplicité. Mais on est dans un tout autre registre que celui des pharisiens, celui dans lequel ils ont traité le pauvre aveugle-né. Eux les responsables, ils l’ont convoqué dans leur assemblée, et puis ils l’ont jeté dehors –pas qu’à la voix, semble-t-il– et sont restés entre eux. Jésus a un tout autre projet. Oui il faut sortir, mais tous : le berger aussi sort, éventuellement le dernier mais « quand il a mis dehors toutes les siennes il va à leur tête« . Et son petit bétail le suit [oti oidasin tèn fônèn autou], parce qu’elle savent sa voix.

     Tout tient à la voix, la [fônè] : le petit bétail fuira la voix des étrangers, elle ne le suivront pas. Les brebis ne comprennent pas forcément ce que dit leur berger, mais elles savent que c’est lui au son de sa voix, et elles sont en confiance avec lui, elle ont expérimenté qu’elles étaient vivantes avec lui. On voit que l’autorité telle que l’entend Jésus n’est pas celle qui juge et sépare : elle conduit à vivre, par la douceur de la voix et de la parole. Le mouvement des brebis se fait par l’encouragement de la parole et aussi par l’entraînement interne au troupeau.

     On parle parfois d »autorité pastorale ». C’est une réalité délicate. La tentation est grande d’habiller du doux nom de berger la violence exercée par un pouvoir. Mais c’est une conversion de l’autorité qui est nécessaire pour qu’elle soit pastorale : elle renonce à être autre chose qu’une voix, elle s’engage à tracer un chemin -la porte- par lequel elle passe elle-même, et elle s’accommode du rythme des brebis, de leurs tours et détours. Surtout, elle connaît le nom de chacune : quel renoncement, aujourd’hui, que de renoncer à considérer une « masse » ! Nous exerçons à peu près tous une certaine autorité : dans la famille, dans nos milieux professionnels, dans des clubs, dans notre entourage… Comment faire pour que cette autorité devienne « pastorale », semblable à celle du berger ?

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