Étonnons-nous : dimanche 21 avril (Pâques).

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF.

Pour situer l’évangile :

     L’évangile de la nuit (pour ceux qui voudraient un mot sur l’évangile du jour, le même chaque année, je peux vous renvoyer ici) n’est que le début de la conclusion de l’évangile de Luc. A vrai dire, conclusion n’est peut-être pas le mot : il faut se rappeler que l’œuvre de Luc est en deux tomes, et que ce dernier chapitre de l’évangile est aussi une sorte de transition vers le deuxième tome. On peut aussi le voir comme l’apogée de l’œuvre entière, avec les deux premiers chapitres des Actes des Apôtres.. C’est dire si les approches peuvent être nombreuses.

     Dans ce dernier chapitre donc, on a six temps successifs. D’abord, des femmes viennent au tombeau qu’elles trouvent ouvert; ensuite elles reviennent rendre compte de cela aux Onze sans être crues; mais troisièmement, deux disciples qui quittent Jérusalem découvrent Jésus qui marche avec eux et, du coup reviennent eux aussi le dire aux Onze; ceux -ci, quatrièmement, leur disent aussi qu’il est apparu à Simon; et voilà que cinquièmement lui-même apparaît au milieu d’eux tous, leur parle, leur dévoile les Ecritures et les constitue témoins; enfin il les conduit vers Béthanie et est enlevé au ciel devant eux. Tout cela est situé par Luc, dans son évangile, le même jour. C’est dire si c’est bien, pour lui, l’ensemble de ces récits qui décrit l’évènement de la résurrection.

     Ce sont pourtant les deux seuls premiers temps qui nous sont donnés en cette occasion : autrement dit, soyons conscients que nous n’avons pas tout de l’évènement selon que Luc l’envisage. Nous n’en avons même que le constat « en creux » : rien n’est plus comme avant, on ne trouve pas Jésus où on venait le chercher.

Mon modeste commentaire :

     « Or au premier [moment] d’après le sabbat, à l’aube profonde, elles viennent au tombeau en portant les aromates préparées. » Elles, ce sont les femmes « venues avec lui depuis la Galilée » sur le regard et l’activité desquelles Luc a clôt son récit de la mort de Jésus. On n’a pas leur nom (pas encore), on sait qu’elles « suivent de près« , qu’elles « observent le tombeau et comment on a mis son corps« , enfin qu’à leur retour, elles « préparent aromates et parfums » puis observent le repos sabbatique. Ce sont les seules qui ont osé rester à proximité, car « tous ceux qui le connaissaient se tenaient à distance« , même une fois mort. Le seul homme qui a approché ce corps, selon Luc, c’est un Joseph, qui l’a dépendu puis enseveli. Un Joseph au début de la vie de Jésus, un autre à la fin, celui dans l’ombre duquel il a grandi, celui qui l’a remis dans l’ombre du tombeau. La boucle est bouclée.

     Des femmes il est question ici ou là dans l’évangile de Luc, un peu plus qu’ailleurs : certaines sont nommées, quand le ministère de Jésus devient franchement itinérant et que les Douze y sont associés. Il y a alors en itinérance avec lui les Douze et plusieurs femmes « nombreuses, qui les servaient de leurs biens » (Lc.8,3). Mais maintenant, les Douze ont lâché eux aussi. Seules demeurent les femmes, celles auxquelles on n’a pas vraiment prêté attention et qui pourtant remplissent toutes les conditions qui seront posées pour trouver un remplaçant à Judas : les avoir accompagnés pendant tout le ministère de Jésus, depuis son baptême par Jean (au passage, ce n’est le cas d’aucun des Onze !!) jusqu’à sa mort. Une fois mort, il ne reste plus qu’elles, et sans peur d’être emportées dans la même folie meurtrière elles continuent leur service, jusqu’au bout. La nuit étant tombée, le sabbat s’est achevé : sitôt qu’elles le peuvent, au premier semblant de clarté, les voilà debout, au tombeau (plus exactement, au mémorial« , au lieu où l’on se souvient). Le soin apporté aux cadavres fait partie de cette œuvre de charité désignée par « ensevelir les morts » : il ne s’agit pas seulement de leur donner une sépulture –ce qui est tout de même l’essentiel !– mais aussi que cette sépulture soit digne, qu’elle comporte les soins dus à tout corps d’être humain. Voilà donc nos discrètes et charitables héroïnes en route.

     « Elles trouvent cependant la pierre roulée depuis le sépulcre, rentrant pourtant elles ne trouvent pas le corps du seigneur Jésus. » Elles trouvent et elles ne trouvent pas. Dans les deux cas, c’est la surprise. Elles trouvent la pierre déjà roulée, poussée de côté, ce qui eût été pour elles un vrai problème pour pénétrer dans le tombeau et donner au cadavre les soins habituels. Peut-être ont-elles été devancées ? Mais voilà qu’en entrant, cette fois elles ne trouvent pas le corps. Hypothèse précédente invalidée : que peut-il donc s’être passé ? « Et il arrive dans leur perplexité à ce sujet que voici en plus deux hommes se placent au-dessus d’elles en vêtement étincelant. » La perplexité est en fait un « non-savoir » : c’est parce qu’elles ne savent pas qu’un événement supplémentaire survient. Elles ne sont pas parties bille en tête sur une explication qu’elles se sont données, elles sont restées ouvertes à l’inconnu, et c’est pourquoi l’inespéré peut les atteindre. C’est peut-être la première leçon de ce matin-là : quand la charité, quand l’amour, sont tenus en échec, ne pas se fermer comme une huitre par une explication tout faite, mais rester dans le non-savoir…

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     Face à elles, « deux hommes » : Luc affectionne beaucoup ce chiffre, qu’il a manié tout au long de son évangile. Les Douze ont été envoyés deux par deux, les soixante-douze ont été envoyés deux par deux : c’est pour lui la condition de l’authenticité du témoignage. Et de fait, être deux contraint à s’accorder, à se déposséder aussi. Les femmes reçoivent donc un témoignage. Nul n’est témoin premier de la résurrection : dès le début, c’est une message reçu, auquel on croit –ou pas. Ces deux hommes en « vêtement d’éclair » les [éfistèmi], mot à mot « être-sur » d’où placer au-dessus, placer auprès de, établir, s’asseoir sur. Les deux témoins les regardent d’au-dessus, sont plus grands qu’elles ou situés plus en hauteur. La parole qu’ils vont dire vient clairement d’en-haut; peut-être aussi que cela montre que, dans leur surprise, cela leur « tombe dessus » !!

     Ces femmes sont pourtant courageuses, puisque seules elles n’ont pas craint de braver le danger de se laisser connaître par les autorités comme suivantes de Jésus. « Envahies par la peur et inclinant leur face vers la terre, ils disent à leur adresse : Que cherchez-vous le vivant parmi les morts ? … » Voilà dès le début la violence du message : on était sensé savoir ! Cela va revenir constamment chez Luc : il était possible de comprendre avant. Alors le message a la nuance du reproche : que faites-vous là ? Comment ne savez-vous pas que cela ne sert à rien ? Pourquoi vous mettez-vous en situation d’échec ? Vous vouliez montrer votre amour à quelqu’un, mais vous le supposez mort, lui le vivant ! Vous vouliez à la fois lui montrer votre amour et le traiter comme un mort ! Et de fait, quelle autre leçon que celle de ce matin-ci : comme si facilement, dans notre façon d’aimer, se glisse un goût de mort ! Mais la façon d’aimer est entièrement renouvelée, elle devient autre quand elle envisage l’autre avant tout comme un vivant.

    Mais vient la véritable annonce : « Il n’est pas ici, mais il s’est réveillé, » ou il s’est levé. Autrement dit, nul n’est intervenu dans cette histoire : s’il n’est pas ici, c’est bien parce que lui-même a quitté ces lieux. Et s’il a quitté ces lieux, c’est parce qu’il a quitté aussi son état de mort. On ne peut pas être plus clair. Le comment, en revanche, n’est pas le moins du monde abordé ! En revanche, tout de suite, il est fait appel aux souvenirs : « … souvenez-vous comme il vous a parlé, étant encore en Galilée, disant : le fils de l’homme, il faut qu’il soit livré aux mains des hommes pécheurs et qu’il soit crucifié et que le troisième jour il se dresse. » L’évènement n’est intelligible, ne prend sens, que relié à ce qui a précédé, relié aux paroles de Jésus. Le statut de cet évènement est d’être absolument nouveau mais accessible seulement par la mobilisation de la mémoire activant la parole reçue. Et cette parole disait une nécessité impérieuse, celle d’un drame, celle d’un échec. Les adversaires ne pouvaient être vaincus que par leur victoire : leur force s’est en quelque sorte entièrement épuisée et exténuée. Il n’y a plus de ressource de mort contre le vivant. La traditionnelle prose de Pâques le dit à sa manière:  « Mors et vita duello conflixere mirando, dux vitae mortuus regnat vivus » : La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux, le chef de la vie, mort, règne vivant. « Et elles se souviennent de ses mots. » : voilà, la parole redite, la mémoire revient, elles entrent dans l’univers de celui qu’elles cherchent désormais dans ses paroles et non parmi les morts. Ce que nous essayons nous-mêmes de faire, cher lecteur, chaque fois que nous explorons les évangiles comme en ce moment. Nous n’y entrons pas comme en un sépulcre, comme en un monument à sa mémoire, mais comme en un recueil donnant accès à son univers pour le retrouver dans notre monde, aujourd’hui.

     Bien, mais que faire maintenant ? On imagine un mélange de joie profonde, immense, une volonté de le partager, car une joie ne vit qu’à cette condition d’être partagée. « Et retournées du tombeau elles annoncent toutes ces choses aux Onze et à tous les autres. C’étaient donc Marie Madeleine et Jeanne et Marie (celle de Jacques) et les autres avec elles. » « Retournées » a un sens à la fois local (elles s’en reviennent) et moral (elles ont changé totalement). Elles restent à tout jamais les retournées du tombeau : celles qui y ont été retournées, renversées, transformées. Par le fait d’une absence, d’un étonnement auquel elles se sont ouvertes, d’une parole de Jésus qui leur a été rappelée. C’est maintenant que Luc donne leurs noms : la nouveauté commence son chemin par ces femmes. Et elles vont trouver les autres. Je me demande bien si les choses se seraient passées de la même manière dans l’autre sens, mais j’ai bien peur que les hommes ne se seraient pas donné la peine d’aller le dire aux femmes… Purement gratuit, me direz-vous ? Ma foi, à l’aune de vingt siècles, ce n’est peut-être pas si gratuit que cela. Et peut-être, les évangiles étant unanimes à ce sujet, serait-il temps de laisser aux femmes leur rôle pour que s’établisse enfin la nouveauté tant espérée.

     « Elles disaient ces choses aux apôtres, et cela leur apparaissait en face comme du radotage, ces mots, et ils ne les croyaient pas. » Les femmes avaient bougé, elles étaient mues par leur amour, elles étaient sorties de chez elles : elles sont restées ouvertes à l’étonnement, et elles ont reçu la parole qui les a fait entrer dans la nouveauté de vie du vivant. Les hommes, les Onze et les autres, n’ont pas bougé, on est venu à eux, et ils ne s’ouvrent pas. Quelle actualité : il me semble qu’on en est toujours là ! Il y aurait tant de nouveautés à inaugurer, à mettre en place aujourd’hui ! Mais les Onze et leurs successeurs restent en place et ne bougent pas et ne croient pas le message des femmes, des mères, des religieuses, etc. Même la mauvaise surprise des révélations fracassantes sur les agissements de certains ne les fait pas bouger.

     « Tout de même Pierre se dressant court au tombeau et se penchant regarde les linges, seuls, et revient chez lui s’étonnant de ce qui est arrivé. » Pierre est bien seul, comme aujourd’hui il est bien seul. Tout de même il se dresse : c’est le même mot que celui utilisé par Jésus pour dire ce qui arrive au fils de l’homme après avoir été tué. Il court, il bouge, comme les femmes ont bougé. Il voit un détail qui ne nous avait pas été donné jusqu’à présent : les linges, seuls. Celui qui n’est plus là n’a pas été emporté par des voleurs de cadavres : tous les attributs de la mort sont restés. Et maintenant, Pierre s’étonne à son tour. Il entre dans la disposition nécessaire à la nouveauté. On apprendra un peu plus tard qu’ « il est apparu à Simon« . S’étonner, c’est le maître mot. Et dans l’étonnement, envisager l’autre comme un vivant. Mais tout cela ne fait que le porche de l’expérience de la résurrection : celle-ci se révèle, dans les récits qui suivent, avant tout comme un rencontre.

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