S’arrêter un peu (dimanche 18 juillet).

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Pour l’auditeur bienveillant et non soupçonneux, le texte d’aujourd’hui fait directement suite au texte de dimanche dernier : les douze ont été envoyés, les voilà qui reviennent. Rien de plus « logique », cohérent. Marc a cependant vu les choses différemment, puisque pas moins de dix-sept versets séparent dans son œuvre les deux épisodes !! Et que s’est-il passé dans l’intervalle ?

Difficile de dire si, dans l’idée de Marc, c’est véritablement la chronologie qui guide la construction de son ouvrage. Toujours est-il qu’entre le départ et le retour des douze, il a écrit et les interrogations d’Hérode à propos de Jésus, et la mise en prison de Jean le baptiste, et l’exécution de Jean. Cet ensemble forme donc comme le centre d’un triptyque (figure très aimée de Marc), dont les volets droit et gauche sont l’envoi des Douze et leur retour. Cela jette une ombre menaçante sur ce qui est au cœur de la mission des Douze, et peut-être de tous les disciples : ils sont témoins, oui, mais voilà la destinée du témoin, être soupçonné par le pouvoir, arrêté puis tué avec frivolité. Le pouvoir ne prend pas au sérieux le témoin, sinon comme une menace à son endroit. Or ce n’est même pas comme on fait taire une menace qu’il se débarrasse du témoin (pour cela, la prison avait suffit), mais comme par une conséquence d’un jeu entre puissants : c’est une rivalité entre Hérode et sa femme qui aboutit en effet à la mort de ce témoin emblématique qu’est Jean-Baptiste, rivalité feutrée où sa femme met Hérode au défi de son pouvoir en profitant de sa promesse irréfléchie à sa fille. Marc nous dit que le témoin est le jouet des puissants, auxquels il ne s’adresse pourtant pas de manière privilégiée.

J’ai déjà commenté ce passage d’aujourd’hui, sous le titre s’ouvrir à la diversité. Ce qui me frappe cette fois-ci, c’est le jeu à trois de Jésus, des disciples et de la foule. C’est cela que je voudrais regarder de plus près.

Les envoyés reviennent à Jésus : ils lui rapportent aussi bien ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont dit. Ce n’est pas qu’une affaire entre eux et lui : ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont enseigné avait pour destinataire la foule. Autrement dit, ils sont au départ dans une situation d’intermédiaires entre Jésus et la foule : c’est en son nom explicitement qu’ils ont fait certaines choses, son annonce qu’ils ont relayée, et voilà qu’ils lui rendent compte, qu’ils lui « rapportent ». Ce n’est pas qu’un compte-rendu événementiel, un écrit par le menu : lui rapporter, c’est rapporter à lui, c’est lui permettre d’avaliser en se faisant personnellement l’auteur de ce qui a été fait concrètement. On se rappelle que dans le récit de la guérison de la femme atteinte d’un écoulement de sang depuis douze ans, il voulait justement connaître la destinataire de ce qui était sorti de ses profondeurs, certes avec son consentement mais sans que les présentations aient été faites préalablement. Le maître aime être pleinement conscient de toute la chaîne pour consentir à tout et n’oublier rien ni personne.

On comprend pourtant dès la phrase suivante que les envoyés n’ont pas fait que rapporter des faits et dits, mais qu’ils ont carrément rapporté la foule elle-même, destinataire de leur mission ! Jésus les invite en effet à venir à part (de qui, sinon de la foule ?), dans un lieu désert (désert de qui, sinon de la foule ?), pour se reposer car, nous précise Marc, « les arrivants et les partants étaient nombreux, et ils n’avaient pas l’occasion de manger. » Les envoyés ont fait plus qu’être des intermédiaires pour un temps, ils ont mis la foule en relation directe avec Jésus ! Voilà un résultat inattendu mais absolument extraordinaire : l’envoyé de l’évangile est un intermédiaire qui inaugure la relation sans intermédiaire ! N’est-ce pas le rêve ?

Mais ce rêve peut tourner au cauchemar : l’effacement du témoin pourrait être sa destruction, et l’ombre de Jean-Baptiste plane ici de manière un peu sinistre. Cette fois, pas de pouvoir déclaré qui constitue une menace, mais une foule inconsciente de son effet de foule, chacun n’est conscient que de ce qu’il fait, dit, demande, attend (et encore…). Le résultat est que les envoyés ne peuvent même pas manger ! Envoyés à distance de Jésus, il leur était enjoint de ne pas se préoccuper de leur survie, de la conservation de leur vie, ce serait là le souci de leurs auditeurs. Mais de retour, ils ne peuvent pas plus s’en soucier : la différence, c’est que cette fois les auditeurs loin de pourvoir à leur survie la menacent directement -et probablement sans même s’en rendre compte !

Aussi est-ce Jésus lui-même qui tient ce rôle, qui les tire à part, qui va pourvoir à cette réfection dont ils ont besoin : repos pour le corps et l’esprit, nourriture, etc. Autrement dit, c’est lui qui se substitue aux auditeurs ! Les envoyés ont été jusqu’à être Jésus même qui rencontre les foules, de sorte qu’au terme de leur mission les foules sont en contact immédiat avec Jésus. Mais Jésus de son côté est lui-même la foule, c’est lui leurs auditeurs (après tout, il écoute leur compte-rendu !) et lui qui prend soin de leur vie. Marc nous laisse entendre que les envoyés n’ont pas quitté Jésus pour les foules : ils l’ont au contraire trouvé qui les attendait, mais ne l’ont pas reconnu, et c’est maintenant, à leur retour physique, que cela se révèle ! Révélation merveilleuse pour l’envoyé, mais révélation a posteriori : l’envoyeur ne l’a jamais quitté mais l’attendait et s’occupait lui-même de la vie de ses envoyés.

Quand ils s’en vont, la foule les voit ensemble … mais sans eux. Et à cela ils ne peuvent ni ne veulent plus consentir : ils voient, ils comprennent, ils courent, ils sont là avant eux. En sortant du bateau, « il vit une foule nombreuse et il fut « saisi aux tripes » à leur propos, parce qu’ils étaient comme des brebis n’ayant pas de berger, et il commença à leur enseigner beaucoup de choses. » Au bout du compte, pour que les envoyés puissent enfin se reposer et manger, Jésus s’occupe lui-même de la foule : il commence à enseigner, une des deux actions que les envoyés avaient exercées et dont ils avaient rendu compte. L’aboutissement de la mission des envoyés, c’est leur retrait, de sorte que c’est le maître lui-même qui est en contact immédiat avec la foule et qui approfondit lui-même l’annonce de l’évangile. L’envoyé, le disciple qui a reçu mission, interrompt celle-ci le cœur en paix : qu’il s’efface comme ici parce qu’il a besoin de repos, ou bien que plus dramatiquement comme Jean-Baptiste il s’efface parce qu’on le supprime, il sait que son action a mis en rapport immédiat le maître avec ceux à qui il a livré son exemple, son message, son service.

Cosimo Rosselli, Sermon sur la montagne (1481), fresque 349 x 570, chapelle Sixtine, Cité du Vatican.

L’expérience de la limite fait partie de l’expérience du disciple. Elle intervient au cours de l’exercice de sa mission. Elle est une école, celle qui fait remettre tout entre les mains d’un autre, en constatant qu’il s’occupe lui-même de ceux auxquels le disciple s’est attaché et donné, en accueillant aussi que l’invitation au repos soit sollicitude du maître.

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