Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Nous voici devant ce récit riche et étonnant de la résurrection de Lazare. J’en ai fait il y a six ans un commentaire général Sortir, et il y a trois ans j’ai commenté la première partie de ce récit, celle où l’on annonce à Jésus la situation de Lazare, Etat de faiblesse. Il conviendrait que je continue avec le deuxième temps de ce récit, celui de la réaction de Jésus une fois reçue cette annonce. L’angle que j’avais choisi était celui de l’aide : comment aider quelqu’un en état de faiblesse ? Je voudrais néanmoins cette fois modifier cet angle, et adopter s’il est possible le point de vue de Lazare lui-même.
« Comme donc il entendit que [Lazare] était en état de faiblesse, alors il demeura au lieu où il était deux jours, ensuite après cela il dit aux disciples : allons en Judée de nouveau. » J’ai déjà indiqué ailleurs que Jean n’utilise pas le mot « malade » à propos de Lazare, mais un mot qui signifie un état de faiblesse, en même temps qu’il suggère une décroissance. Autrement dit, Lazare s’éteint doucement, il s’affaiblit progressivement. Nous savons déjà aussi que Jésus aime Lazare, que celui-ci est le frère de Marthe et de Marie. Jean nous a déjà dit aussi que ce sont ses deux sœurs qui ont envoyé un message à Jésus, d’une justesse parfaite : « Seigneur, vois celui que tu aimes [qui]s’affaiblit« . On ne sait pas si Lazare est au courant de la démarche, ni s’il l’approuve ou la désapprouve : à ce point, c’est comme s’il était déjà hors course.
Sait-il en revanche, après coup, la démarche qui a été faite ? Les deux sœurs ont-elles rapporté à leur frère la démarche qu’elles ont faite, et la réponse de Jésus : « Cette faiblesse n’est pas vers la mort, mais elle est pour la gloire du dieu, afin que le fils du dieu soit glorifié par elle » ? Si non, il n’y a pas de question. Mais si oui, comment a-t-il ressenti et compris une telle réponse ? Car, comme nous l’avons déjà analysé il y a trois ans, cette réponse ne dit pas que Lazare ne va pas mourir : elle dit que cette mort n’est pas le terme ultime de tout. On peut bien sûr, si c’est ce qu’on voudrait entendre, entendre qu’il ne mourra pas, mais ce n’est pas ce qui est dit. Il me semble que cette réponse énigmatique, si elle est parvenue jusqu’à lui, a dû laisser Lazare dans l’incertitude : que va-t-il se passer ? Et puis surtout, qu’est-ce que Jésus va faire ? Car quand on s’adresse à lui, étant donné toutes les choses qu’il accomplit, c’est parce qu’on attend, qu’on espère, qu’il fasse quelque chose.
Mais là, il y a de quoi être totalement déconcerté : « Comme donc il entendit que [Lazare] était en état de faiblesse, alors il demeura au lieu où il était deux jours… » L’insistance un peu lourde de Jean (comme donc… alors…) ne laisse aucun doute sur l’aspect conséquentiel de l’attitude de Jésus. Et c’est bien cela qui est totalement déconcertant : il me semble que quand quelqu’un va mal, la réaction immédiate est au minimum d’aller le, ou la, voir ! Et ici, « il demeura au lieu où il était deux jours« . C’est incompréhensible. Est-ce de la faiblesse ? Car Jésus, il est vrai, est poursuivi par les autorités religieuses, et cette fois-ci d’une façon vraiment efficace et construite. Craint-il pour sa vie ?
En tous cas, notre Lazare ne voit pas venir son ami, il reste seul, il continue de s’affaiblir…. Peut-il ne pas se sentir abandonné ? Sans doute peut-il comprendre que son ami soit retenu ou empêché, le comprendre vraiment, comme quelqu’un qui sait que tout n’est pas possible, et comme un vrai ami qui ne perd pas confiance en son ami. Néanmoins il reste seul avec ses sœurs et sans grand espoir. Il connaît, lui, la dynamique de sa maladie ; il sait, comme le savent tous les « malades », par une intuition profonde que savent écouter les vrais médecins, il sait ce qui lui arrive. Il n’a peut-être personne à qui le dire, et son ami aurait pu être là au moins pour ça. Mais il n’est pas là.

Au bout de deux jours, Jésus « dit aux disciples : allons en Judée de nouveau. » A la bonne heure ! On ne sait toujours pas pourquoi il est resté, car aucune activité ne nous est décrite ni même suggérée, l’incompréhension reste totale. Mais au moins, cette situation a une fin. « Les disciples lui dirent : rabbi, maintenant les Juifs cherchent à te lapider, et tu veux y retourner ? » Eux s’étonnent de ce changement de pied : le risque n’a pas changé. « Jésus répondit : n’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Si quelqu’un circule dans le jour, il ne fait pas de faux pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; celui en revanche qui circule dans la nuit fait des faux pas, parce que la lumière n’est pas en lui. » Le rapport entre cette observation générale et l’objection des disciples n’est pas évident. Quand on voit suffisamment clair, on marche correctement, mais quand il fait noir on butte et on risque de tomber : voilà bien une remarque dont, pour juste qu’elle soit, on ne voit pas ici l’utilité.
Et pourtant, à bien considérer cette phrase, il y a un rapport avec l’objection des disciples. Car ceux-ci se sont étonnés du changement de pied de Jésus, de sa décision de retourner en Judée qui vient à l’inverse de sa première attitude qui était de rester là et de n’en pas bouger. Et Jésus parle du passage du jour à la nuit, ou inversement. On pourrait comprendre que s’il ne bougeait pas, c’est qu’il considérait qu’il « faisait nuit » ; et s’il bouge maintenant, s’il marche, c’est qu’il considère qu’il « fait jour » désormais. Quelque chose s’est donc produit qui a fait passer de la nuit au jour, qui autorise désormais de marcher sans faire de faux pas. Quelque chose, mais quoi ?
« Il dit cela, et après cela leur dit : Lazare, notre ami, s’est endormi : mais je me mets en marche afin de le réveiller. » C’est la situation de Lazare qui a changé. C’est bien lui qui est au centre de la préoccupation de son ami. Lazare était dans une situation qui faisait « nuit » pour Jésus, il ne pouvait pas marcher sans risquer le faux pas. Mais maintenant ce n’est plus le cas. Il y a là quelque chose qui nous échappe totalement, c’est ce qui constituait un empêchement pour Jésus. Mais nous avons une certitude, celle que jamais Jésus n’a cessé de penser à Lazare, ni de construire son attitude ou ses choix par rapport à lui. Lazare sait-il que Jésus ne cesse de se positionner par rapport à lui ? J’en doute. Et pourtant c’est le cas. Au Lazare d’aujourd’hui, ce texte vient le dire : même si tu ne le sais pas, même quand tu éprouves surtout son absence, ton Ami désire être avec toi et il est dépendant d’un « jour » ou d’une « nuit » qui lui imposent de se manifester ou pas.
« Les disciples lui dirent donc : seigneur, s’il s’est endormi il sera rétabli ! » Peut-il y avoir meilleur remède au malade que le sommeil réparateur ? « Jésus avait parlé de sa mort, eux croyaient qu’il parlait du repos du sommeil. » Quiproquo complet. « Alors donc il leur dit avec autorité : Lazare est mort, et je me réjouis à cause de vous pour que vous croyiez, si je n’étais pas là ; mais allons à lui ». Lazare est mort, sans son ami, sans l’Ami auprès de lui qui aurait tout changé. Jésus n’a pas fait exprès de ne pas être là, quelque chose l’en a empêché, c’était « la nuit ». Je pense qu’il en est profondément peiné, et ses larmes bientôt le feront voir. Mais « à quelque chose malheur est bon », il trouve tout de même un motif de joie dans cette situation profondément affligeante, c’est que les disciples vont se voir offrir une occasion de renforcer encore leur foi. Mais Jésus veut aller trouver Lazare, même mort.
Pouvons-nous dire que ça ne lui fera ni chaud ni froid ? Une fois mort, on doit être assez indifférent à pas mal de choses… Mais après tout je n’en sais rien, n’ayant jamais été mort. « Thomas appelé Didyme à son tour dit à ses condisciples : allons-y nous aussi pour mourir avec lui. » La perspective de Thomas est assez désespérée : la mort a pour lui un effet diffusif, absorbant. Aller trouver Lazare mort, c’est une folie que Jésus fait et où il va laisser sa propre vie (puisqu’il est recherché dans le but de le faire mourir), la mort de l’un va entraîner la mort de l’autre… alors qu’elle entraîne aussi celle des disciples, et ainsi tout le monde sera mort. Il ne lui vient pas à l’idée que c’est la vie qui pourrait se diffuser à partir de Jésus.
Peut-être est-ce révélateur de la manière dont nous envisageons la mort, comme une puissance ultime et souveraine, que rien ne peut arrêter ni contester. Lazare, lui, est mort dans la confiance envers son Ami, même si c’est dans l’ignorance des raisons qui l’empêchaient d’être là et ne faisaient pas obstacle à sa mort. Mais il faut que la puissance de Jésus soit bien autre, pour que même cela ne l’arrête pas dans son élan. Ce « mais allons à lui » final de Jésus est tout sauf banal. Il va aller à Lazare, jusqu’à Lazare. Pas jusqu’au tombeau de Lazare, ni jusqu’au corps de Lazare, mais jusqu’à Lazare. Son élan va à lui, et le rejoint. Et c’est ce qui va être la vie de Lazare.
Je me sens concerné, et l’attitude de Jésus reste très difficile à comprendre et à accepter pour moi … Jeudi dernier, ta première parole a été « Veux-tu que je vienne » ! Je ne peux penser que Jésus ait agi ainsi, parce qu’il était plus important (ou révélateur) qu’il ressuscite Lazare plutôt qu’il le soigne. Et je plains Lazare, qui a du profondément souffrir ! Je vais encore relire le texte, et ton analyse, peut-être que petit à petit je pourrai mieux percevoir la situation, mais pour le moment, je bloque !
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Je suis d’accord avec toi : je lis qu’il y a manifestement un « jour » où il peut y aller, et une « nuit » où il ne peut pas. Mais Jean ne dit pas ce que c’est, et je ne le devine pas pour ma part….
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