Manger, avec qui ? : dimanche 31 mars.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF.

Pour situer le texte :

     Le texte qui nous est proposé aujourd’hui est dans la section qui suit celle où était pris le texte de la semaine dernière : il s’agissait d’une section où Jésus voyage, envoyant devant lui non seulement les Douze mais soixante-douze, partout où lui même va se rendre. Il s’agit maintenant d’un voyage où la destination de Jérusalem est systématiquement mentionnée (à partir de Lc.13,22). Là encore, Luc collectionne les récits et les discours, jusqu’à l’entrée à Jérusalem.

     Retraçons grossièrement le parcours de cette section-ci : Jésus déclare d’abord (Lc.13,22-35) que le salut est une chose difficile à obtenir, mais aussi qu’il sera offert au monde entier, il résiste à une menace des Pharisiens en confirmant son intention d’aller à Jérusalem et pleure sur cette dernière. Ensuite, Jésus se trouve chez un des chefs des Pharisiens (Lc.14,1-24) où les échanges sont tendus et le thème du dîner ouvert à tous développé. Le voici ensuite en route avec des foules (Lc.14,25-17,10), et Luc le fait s’adresser tour à tour aux uns et aux autres, et traitant justement de l’ouverture, nécessaire chez tous, à cette diversité, à cette universalité, qui se trouve autour de lui. Puis, « aux confins de la Samarie et de la Galilée« , c’est-à-dire justement là où l’on s’ouvre à l’au-delà du seul peuple d’Israël (Lc.17,11-18,34), la guérison de dix lépreux provoque une question des Pharisiens sur la venue du Royaume : la réponse entraîne des paroles sur la manière de l’attendre  ou d’y entrer, concluant sur la troisième et très ferme annonce aux Douze de la Passion. Enfin (Lc.18,35-19,27), c’est l’étape de Jéricho, la dernière avant Jérusalem. On voit que ce qui domine, ce sont les thèmes de l’universalité du salut et des implications de celle-ci –acceptée par les uns, souhaitée par d’autres, refusée par d’autres encore–, et des exigences que le mode dramatique d’accomplissement de ce salut créent pour ceux qui veulent être disciples.

     Notre texte est dans le troisième temps de cette grande section. Se tournant vers les foules indistinctes mais nombreuses, Jésus énonce à tous les conditions exigeantes pour être disciple, et il exhorte chacun à bien considérer ce choix et ses conséquences. Paradoxalement, ce discours qui devrait plutôt freiner les ardeurs fait s’approcher de lui des catégories de personnes qui font murmurer Pharisiens et scribes. A leur intention, Jésus énonce trois paraboles, celle dite de  » La brebis perdue », celle de « La drachme perdue » et celle du « Fils perdu » (ou du « Père miséricordieux », ou des « Deux fils »). C’est cette dernière qui nous est donnée, avec l’introduction aux trois pour la remettre en contexte.

Mon modeste commentaire :

     « Ils étaient cependant tous en train de s’approcher de lui, les publicains et les pécheurs, à l’écouter.«  Il y a de l’étonnement chez Luc. Le discours qui précède (ou la collection qu’il en fait) est vraiment décourageant pour quiconque voudrait suivre Jésus : le préférer à tous et même à sa propre vie, se demander si l’on a bien les ressources pour aller au bout d’un tel choix (sinon, mieux vaut renoncer), prendre le risque d’être rejeté parce qu’on s’est affadi… Des auditeurs « normaux » devraient prendre leurs distances. Et pourtant on constate une dynamique inverse : le verbe [én’guidzoo] signifie non seulement s’approcher, mais aussi s’activeraccélérer, et aussi être proche parent. On voit qu’il y a l’idée d’un empressement supplémentaire et fort autour de Jésus à la suite de ces paroles théoriquement décourageantes, d’un empressement qui ne craint pas l’assimilation, bien au contraire.

     Ceux qui sont le plus empressés autour de lui, ce sont des « publicains » et des « pécheurs« . Les premiers, rappelons-le encore une fois, ce sont des personnes qui ont acheté à ferme le droit de collecter l’impôt : en général, le Sénat romain ou le Prince décrètent annuellement le volume d’impôt qu’ils doivent retirer de chaque province, et ceux que l’on appelle les Publicains versent la somme demandée en échange du droit à se rembourser auprès des populations concernées, en requérant si nécessaire la force publique, et sans contrôle particulier des autorités sur les sommes prélevées. C’est donc une collaboration active avec l’occupant et une manière discutable, fort peu appréciée, de s’enrichir. Quant aux « pécheurs », rappelons-nous qu’il s’agit d’une catégorie socialo-religieuse : tous ceux qui ne sont pas « comme il faut » selon les gardiens des règles religieuses sont réputés pécheurs et on les fuit, on les proscrit, autant qu’il est possible. Comment se fait-il que ce soient précisément ces catégories de personnes qui soient le plus sensible à un discours exigeant ? Peut-être parce qu’ils ont déjà l’expérience, par le rejet dont ils sont l’objet, de la souffrance dans leur vie, parce qu’ils savent déjà par expérience que les choix ont un coût…

     En tous cas, ce rapprochement ne laisse pas indifférent : les Pharisiens et les Scribes, donc précisément les gardiens auto-proclamés des règles religieuses, murmurent. Ce qui ne passe pas, c’est que Jésus accueille favorablement, et mange avec ces publicains et ces pécheurs : qu’ils s’approchent et s’empressent, passe encore, au milieu des foules nombreuses il est difficile de s’écarter. Mais qu’il leur soit fait un accueil manifeste et explicite, que cela aille jusqu’au partage de la même table, c’est-à-dire jusqu’à la communion, c’est tout-à-fait intolérable. La commensalité a, dans toutes les cultures, été un signe d’établissement de liens sociaux et de la mise en scène de ces liens : manger ensemble, c’est prendre vie à la même source, c’est partager les mêmes valeurs, c’est manifester une volonté d’organiser la vie les uns avec les autres et jamais les uns sans les autres. Nous ressentons tous qu’il y a des personnes avec qui l’on aspire à prendre un repas… et d’autres avec qui on l’évite autant qu’on peut ! Alors manger avec ceux-là : quelle indignité, et quel renversement des valeurs ! Mais peut-on aspirer à ce que le monde entier soit « sauvé » (quel que soit le sens, difficile à préciser, de ce mot) sans que ce « monde entier » se rencontre ? C’est toute la question ! A côté de qui seras-tu assis au paradis ?…

     Jésus leur répond avec des paraboles, des fictions, dans lesquelles il est question de manger, justement. Les deux premières sont retirées de notre texte d’aujourd’hui : elles s’achèvent l’une comme l’autre par un banquet de réjouissances pris avec tous, dans une progression commencée puisque c’est d’abord une brebis parmi cent qui a été retrouvée, puis une drachme parmi dix. Maintenant ce sera un fils parmi deux. Et il sera question de banquet aussi, mais précisément, la question est posée, ce banquet sera-t-il pris avec tous ? « Un certain homme avait deux fils. » Le premier personnage nommé, c’est cet homme : il restera acteur d’un bout à l’autre de l’histoire, donc littérairement il est bien le « héros » de cette histoire, le personnage principal. Et tout son drame va se jouer avec les deux autres personnages, qui sont tour à tour prévalents dans chacune des parties de l’histoire. Il y a d’autres personnages, tout-à-fait secondaires, presque des figurants : des habitants d’un pays lointain, des gens pas très recommandables, un propriétaire de cochons, des serviteurs, des musiciens, les amis du fils aîné. Mais tout est focalisé dans cette première phrase : cet homme, qui « avait deux fils », aura-t-il toujours deux fils ? Et c’est toute la crainte, tout le tremblement de son cœur. Péguy écrit :

     «  [Cette âme] a fait trembler le cœur même de Dieu. Du tremblement de la crainte et du tremblement de l’espoir. Du tremblement même de la peur. Du tremblement d’une inquiétude –mortelle. Et ensuite, et ainsi, et aussi, de ce qui est lié à la crainte, à la peur, à l’inquiétude. De ce qui marche avec elles, de ce qui est lié à la crainte, à la peur, à l’inquiétude –d’une liaison indéliable, d’une liaison indéfaisable, temporelle, éternelle, d’un indéfaisable lien Elle a fait trembler le cœur de Dieu Du tremblement même de l’Espérance. » (Charles PEGUY, Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu).

Rembrandt - Le Fils prodigue
Six personnages dans ce tableau, avec un mouvement admirable ! Rembrandt a connu la situation qu’il évoque…

Notre homme va trembler, et l’inachèvement de cette histoire fait comprendre qu’il tremble encore. Et nous, pour qui tremblons-nous ?

     Parmi ces deux fils, le plus jeune ([néootérôs]) dit à son père : « Père, donne-moi la portion échue de la fortune ! » C’est la première fois que le nom de « père » est donné à cet homme dans l’histoire. Les circonstances n’en font pas un motif de réjouissance : ce que veut le plus jeune, c’est de l’argent. Il trouve dans ce nom de père ce qui oblige, en quelque manière, celui-ci. Ce nom n’est pas un nom d’affection mais un levier pour obtenir ce qu’il veut. Puisque tu es mon père, une part de tes biens sera un jour mienne : autant que ce soit tout de suite. Le plus jeune souhaite ouvertement anticiper la mort de son père, et profiter du seul motif qu’il retient d’un lien entre eux deux.

     « Et le père partage pour eux les ressources. » Pour eux : il ne sépare jamais ses deux fils. Ce qu’il fait, à la demande de l’un, il le fait au bénéfice des deux. Or ce qu’il fait, [diaïréoo tôn biôn], peut se traduire comme je viens de le faire, mais aussi « tranche sa vie » : les mots choisis de Luc laissent entendre jusqu’où va le consentement de cet homme. Il est déjà dans le don de soi, de sa vie. Pour ses fils il donne tout. On connaît la suite : le départ du plus jeune, son éloignement en pays inconnu, sa vie dispendieuse qui épuise tout son patrimoine. Petite remarque : la « vie de désordre » qu’il mène est littéralement « par une vie prodigue« , ce qui peut tout aussi bien se traduire « par une vie qui ne peut être sauvée« . Cette dernière tournure souligne à l’évidence le rapprochement entre ce fils, le plus jeune, et « les publicains et les pécheurs » dont la proximité provoque l’énoncé de la parabole. Survient la famine : [limôs], c’est d’abord la faim, le besoin de manger. Contrairement aux deux histoires précédentes, il n’y a pas de banquet au bout de l’errance du plus jeune, mais bien la faim. Il se retrouve embauché comme gardien de cochons, proximité évidemment horrifique pour les auditeurs et marquant la déchéance totale. Et il travaille manifestement pour une misère, puisqu’il reste avec le désir de manger la nourriture des cochons : toujours la faim, il ne peut même pas manger avec les bêtes, il n’est pas même digne de faire société avec elles !

     La situation provoque tout de même une changement, peu glorieux il est vrai : ressusciter la pensée de son père. « Or allant à l’intérieur de lui-même il dit : tant de salariés de mon père débordent de pains, quand moi, ici, je suis perdu de faim. Je me lève, je vais vers mon père et je lui dirai : père, j’ai péché envers le ciel et face à toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Fais de moi l’un de tes salariés. » Ce père jusque là mort à ses yeux, voici qu’il lui apparaît comme fournissant de quoi manger. Sans doute faut-il renoncer à sa qualité de fils : en tuant le père, il a tué le fils. Mais un ouvrier, c’est possible. On voit que le plus jeune des fils n’est pas exactement dans des dispositions de repentir. Tout juste pense-t-il qu’il peut jouer un peu sur la fibre paternelle en s’adressant à ce maître-là plutôt qu’à un autre. Quelque chose lui dit qu’il pourrait parvenir à être embauché là, moyennant une sorte de discours bien préparé, bien policé, où l’on reconnaît ses torts d’une manière très générale. Quant on a faim à ce point, on n’est plus trop regardant sur sa dignité. Le nom de père n’est toujours qu’un levier.

     Changement de point de vue, la caméra passe maintenant derrière l’épaule du père et regarde vers le lointain, avant de faire un très gros plan sur son visage : « Alors qu’il est encore lointain [c’est le même adjectif que pour le pays où est parti le plus jeune : on sent qu’il y est encore], tenu éloigné, le voit son père, et il est remué aux entrailles, et courant il se jette à son cou et le baise tendrement. » Le fils n’a pas encore quitté le pays mais déjà le regard du père le cherche. « tenu éloigné » ([apékhôntôs]) donne même l’impression que le regard du père a rejoint son fils avant qu’il soit rentré en lui-même et qu’il ait décidé de partir, quand il est encore prisonnier de sa situation. Il le voit et ses entrailles sont émues, retournées. Le mot est employé au sens propre pour les entrailles que l’on offre en sacrifice. Lui n’a jamais cessé d’être père, il n’a jamais cru à la disparition de son fils, il s’est usé les yeux à le chercher. Et il l’a trouvé. Et c’est bien lui qui fait le plus de chemin, car il court, il court vers celui qui se met à peine en marche dans sa direction, il court jusqu’à l’atteindre et se jette à son cou (le mot désigne précisément l’arrière de la nuque : on comprend qu’il passe sa main derrière la tête de son enfant et l’attire vers lui) et lui donne ce baiser tant attendu par lui, inattendu pour l’autre.

     La surprise est totale, parce que cette attitude est totalement imprévisible : dans l’antiquité, le père est la figure de référence, à lui sont dus les honneurs, et il les attend. Ce père-là oublie totalement sa dignité, lui aussi, du moins selon les canons du temps. Le fils essaie bien de débiter son discours, mais il n’arrive pas au bout, le père le coupe sans écouter le moins du monde. « Vite, sortez une robe longue, la mieux, et vêtez-le ! Donnez un anneau à sa main et des chaussures aux pieds. Apportez le veau, le gras, sacrifiez-le, qu’en mangeant nous nous réjouissions : mon fils que voilà était mort et il revit, il était perdu et il est retrouvé ! » Ils commencent les réjouissances. » La priorité du père est de rendre sa dignité à son fils. Mieux : de rendre sa dignité de fils au plus jeune. Il sera vêtu du vêtement n°1, il aura anneau à la main et chaussures aux pieds, il sera totalement rétabli. Restaurer sa dignité de fils, c’est restaurer pleinement leur relation : il veut être pour lui le père qu’il n’a jamais cessé d’être dans son propre esprit, même si le fils a effacé cette relation génétique. Il le ré-engendre.

     Et voilà le banquet : manger ensemble, c’est prendre vie à la même source, écrivions-nous plus haut. Les voilà qui reprennent vie ensemble, qui reprennent la même vie, qui partagent les mêmes valeurs, réorganisent leur vie l’un avec l’autre. C’est à sens unique : le fils n’a plus rien, il est vidé, exténué. Comment pourrait-il « contaminer » la vie du père dans ce partage et cette communion, quand il n’a plus rien à apporter ? Il revient d’entre les morts, il est de retour du néant. Et l’on voit en filigrane les publicains et les pécheurs mangeant avec Jésus.

     Mais l’histoire n’est pas finie. Il y avait le plus jeune, il y a l’autre, le plus ancien. En grec, [presbutérôs] : le même mot qui donne les presbytres ou les prêtres. Ce n’est pas un hasard non plus : Luc rend décidément les rapports de la parabole transparents avec le contexte où elle est produite. Pharisiens et scribes sont mis avec les prêtres, ils sont le « fils aîné ». Celui-là, de retour des champs, de colère ne veut pas rentrer. La belle histoire, avec l’invitation faite à tous pour finir bien, finira-t-elle bien ? Y aura-t-il une communion générale dans la même vie, dans la même joie ? Question on ne peut plus actuelle : pour être en vie, faut-il donc interdire certains ? Surgissent ces réfugiés africains qui, justement, ne peuvent plus se réfugier en Europe. Surgissent ces Syriens ou ces Afghans refusés en Europe orientale. Surgissent ces colonnes de quelques Guatémaltèques bloqués par un mur. De toutes part, la même proclamation : on ne peut pas vivre avec vous, si vous venez à notre table nous allons mourir, il n’y aura pas assez pour vous et pour nous !  Le banquet final est mal parti….

    « Mais son père en sortant l’invite« . A la rencontre du premier il a couru, à la rencontre de celui-ci il sort aussi. L’aîné éclate : « Voilà tant d’année que je suis ton esclave et jamais je n’ai outrepassé ton commandement, et à moi jamais tu n’as donné un chevreau afin qu’avec mes amis je festoie… » La colère dévoile le cœur. Les mots de l’aîné sont surprenants ! Il parle d’être l’esclave du père ! Car c’est bien le sens précis du verbe [douléouoo] qu’il emploie. On découvre que ce fils, qui n’est jamais parti, ne s’est jamais senti un fils. Il a eu un comportement d’esclave. Les commandements du père ont été sa loi, et toute son attention s’est portée là. On entend chez Luc les échos de Paul, avec qui il a vécu longtemps : la Loi a soumis à un esclavage, mais il faut passer à la liberté de fils. Et puis revoilà le banquet : jamais de banquet pour moi, dit l’aîné : j’aurais voulu me réjouir avec mes amis… mais pas avec son père. Il voulait bien une vie, mais pas l’avoir en commun avec son père. L’attachement à la règle est peut-être le pire obstacle intérieur pour s’ouvrir à un père…. ou pour en être un.

     Et il continue : « …Mais quand ton fils que voilà, lui qui t’a mangé ton bien avec des prostituées, revient, tu sacrifies pour lui le veau gras ! » Dans toutes les familles qui en ont les moyens, il y a de ces rituels où l’on nourrit une bête pour LA grande occasion, où l’on fait une réserve pour LE grand évènement. On ne sait pas toujours quel sera cet évènement, mais on veut être prêt. Au dépit du fils aîné, LE grand évènement, c’est le retour de « le fils, [le] tien, celui-là« , celui qui a dévoré ton bien, ta vie, avec des prostituées. Celui qu’il faudrait fuir, celui dont il faudrait éviter la compagnie, ne serait-ce que pour ne pas être assimilé aux compagnies précédentes, celui qui nous a, nous, déshonorés, voilà qu’il est accueilli comme le plus précieux ! Il a partagé la vie et les valeurs de personnes inacceptables, et toi, tu partages à ton tour par un repas cette vie et ces valeurs !

     Ces mots, mais aussi la réponse du père, tendent un miroir clair aux Pharisiens et aux scribes, aux « gens biens qui font tout ce qu’il faut en matière de religion ». « Enfant, toi, toujours avec moi tu es, et tout ce qui est mien est tien. » Le voilà lui aussi rétabli dans sa dignité de fils, comme l’autre, malgré sa colère et son refus d’entrer, son refus de partager lui aussi la vie du père. Toujours et partout, le père a son fils avec lui : c’était comme pour l’autre, aucun des deux n’a jamais quitté son cœur. Mais il faut aussi que cette relation de père à fils soit honorée, vécue, des deux côtés. Il le faut pour le fils : la vie lui vient du père, c’est dans sa maison qu’est le banquet. Le fils voulait un chevreau, même plus : il n’avait qu’à prendre. C’était à lui. Mais dans sa tête, était-il un fils ? Lui qui se comprenait à distance, comme un esclave… Et puis le père lui redit la phrase qu’il a dite aux serviteurs, mais cette fois-ci il dit « ton frère » : ce n’est pas que mon fils, c’est ton frère. Si tu es mon fils, si tu veux bien être mon fils, tu partageras la même émotion qui est la mienne, car c’est ton frère qui était mort et qui est revenu à la vie.

     Nous sommes ici conduits comme à la racine du jugement porté sur les autres et qui tue : la racine, c’est de ne pas se situer dans la relation à dieu comme il nous situe lui même. Comme des fils. Vouloir être « dans les règles » est un faux repère, ce qui compte c’est le banquet, ce qui compte c’est le partage de la même vie, ce qui compte c’est d’être inconditionnellement en famille avec lui. Là est la source qui permet d’accueillir vraiment l’autre comme le frère qu’il est. Quand nous nous rendrons compte que nous sommes tous partis de la maison, et qu’à la rencontre de tous il est sorti, alors nous accueillerons l’autre comme le frère qu’il est.

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