Quatre évangiles (dimanche 7 janvier)

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

  Revoilà le célèbre conte de Matthieu mettant en scène des mages. Dans les précédents commentaires de ce passage de l’évangile de Matthieu, toujours le même chaque année, j’ai essayé d’adopter le point de vue des mages, Une longue quête, de Joseph, Interview exclusive, puis d’Hérode, Fixe ton étoile ; je me suis ensuite concentré sur l’étoile, L’étoile de la rencontre, puis sur la figure de l’enfant, L’enfant espérance, et l’an passé sur le rôle de l’Ecriture, Tous les chemins mènent à Bethléem.

  J’aimerais, en ce début d’année, prendre un peu de recul et réfléchir sur ce que nous faisons, en lisant et commentant les évangiles. Car la fiction mise en scène par Matthieu, et ce que nous en avons tiré les années précédentes (je renvoie aux commentaires dont les liens sont ci-dessus), nous fait bien voir que trouver Jésus, mener sa quête, ne passe pas nécessairement par les Ecritures : les mages ont abouti en se laissant guider par d’autres repères. Alors nous, que faisons-nous ? Quel sens donnons-nous à scruter les Ecritures ?

  En particulier, scruter les évangiles suppose de les prendre comme ils sont, de chercher à les re-situer, de chercher à les comprendre sans contresens, avec le recul mais aussi l’engagement nécessaire. Si le texte prend la forme du conte, n’en faisons pas un récit d’histoire. Si le texte est une parabole, n’en faisons pas un discours argumentatif. Et pourtant aussi, si l’auteur nous propose une fiction, entrons dans cette fiction, puisqu’il veut par là nous dire quelque chose, et non pas nous divertir. Car le but reste la recherche de Jésus : si nous lisons les évangiles, c’est avant tout pour cela. Comme les mages inventés par Matthieu, mais tellement illustration de son propos, nous cherchons Jésus.

Matthias Storm, l’Adoration des Mages, Huile sur toile, Musée des Augustins, Toulouse.

  Nous avons cependant une chance unique, dans le christianisme : c’est que nos textes fondateurs ne sont pas uniques mais quadruples. Les évangiles sont quatre. Aucun ne se prétend recueillir le propos de Jésus lui-même : ce sont des témoignages, qui assument le point de vue du témoin. C’est pour cela que la forme donnée par chacun des auteurs à son témoignage est si précieuse à conserver : elle dessine une intention précise, un point de vue unique. Il ne faut pas le gommer, le diluer. Les évangiles peuvent dirent des choses contradictoires : par exemple, Matthieu dit que la famille de Jésus habitait à Bethléem au moment de sa naissance, quand Luc dit qu’elle habitait Nazareth. Il est évident que, pris à ce niveau, ces affirmations sont inconciliables. Et si l’on cherche des quatre évangiles à n’en tirer qu’un seul, c’est chose impossible : on fera les contorsions qu’on veut, on n’aboutira jamais à quelque chose de satisfaisant.

  Cela veut dire que scruter les évangiles suppose un renoncement préalable, comme les mages qui sont partis, qui ont quitté leurs palais et leur mode de vie. Il nous faut renoncer à l’idée que nous allons avoir par eux un accès immédiat à Jésus que nous cherchons. Mais alors quel intérêt y a-t-il à se tourner néanmoins vers eux ? Eh bien, nous allons recevoir le témoignage de quelqu’un qu’on appelle Matthieu, et aussi le témoignage de quelqu’un qu’on appelle Marc, et encore le témoignage de quelqu’un qu’on appelle Luc, et enfin le témoignage de quelqu’un qu’on appelle Jean. Ils vont nous dire chacun comment ils voient Jésus, comment ils le trouvent, ce qui les fait vivre chez lui. Chacun avec ses intentions, à la fois leur envie de partager leur trésor et leur envie d’influencer notre regard.

  Comme les mages ont reçu à Jérusalem le témoignage d’Hérode, avec ses intentions cachées, nous allons recevoir le témoignage de ces quatre. Et nous avons besoin de ces quatre : c’est une différence avec la communication très politique d’Hérode : il reçoit lui-même les conclusions des scribes, mais c’est lui qui en communique ce qu’il veut aux mages. Pour nous, nous recevons quatre points de vue, avec leurs accords, leurs originalités, et aussi leurs contradictions, ce qui est tout sauf totalitaire. Notre vue fonctionne sur les données de nos deux yeux, c’est par là que nous avons l’effet de relief et de profondeur, par là que ce que nous voyons peut vraiment nous être utile pour connaître et avancer en ce monde. Ici, ce ne sont pas deux, mais quatre témoignages qui nous sont donnés.

  Et notre renoncement, pas si simple, c’est à vouloir accorder ces quatre : vouloir les accorder, c’est manipuler les faits eux-mêmes (puisque le fait de base, c’est que nous avons quatre témoignages, et non pas un seul). C’est se fabriquer le Jésus que nous voulons, non parvenir à celui que nous cherchons. C’est pour cela que j’en veux autant à ceux qui nous fabriquent le lectionnaire, et qui sautent des passages, qui passent sans prévenir d’un évangile à l’autre, qui nous maintiennent dans l’idée que tout cela c’est pareil. Ils font un peu la même manipulation qu’Hérode, toute proportion gardée, en construisant une idéologie (fût-elle « chrétienne »), au lieu de libérer les cœurs dans la recherche de Jésus. Je ne les accuse pas formellement, mais je fais remarquer que c’est l’effet obtenu.

  Mais voilà : de même que les mages sont passés par Jérusalem et ont entendu le témoignage (biaisé) des Ecritures, mais qu’ils cherchaient au préalable « le roi des Juifs qui vient de naître » et qu’ils reviennent ensuite à leur étoile pour trouver grâce à elle celui qu’ils cherchaient, de même nous aussi, nous ne trouverons Jésus que si nous le cherchons déjà avant d’aborder les évangiles et si nous continuons à le chercher avec les moyens qui sont les nôtres. Finalement, je dirais que le but de lire quatre évangiles, c’est de pouvoir écrire chacun le sien, mon évangile personnel, mon propre regard sur Jésus qui vient de mon expérience avec lui.

  Arrivé à ce point, cher lecteur, il faut que je vous pose une question : je ne sais pas pourquoi vous venez vous-même lire quelque chose dans ce blog. Jusqu’à présent, j’ai choisi de m’appuyer toujours sur l’évangile donné par le lectionnaire pour le dimanche qui suit. Mais avec ce que je viens de dire, vous comprendrez la question que je me pose depuis un bon moment déjà, celle de cesser cet appui-là, pour lire et commenter de manière continue un évangile (pourquoi pas Marc tout de même, cette année ?), de manière à lui laisser toute sa consistance. Ma question : qu’en pensez-vous ? Est-ce une bonne idée ? Cela vous aiderait-il ? Aidez-moi à choisir, servez-vous pour cela du cadre ci-après par lequel vous pouvez poster un commentaire. Précisez-moi, si c’est cela que vous craignez, de ne pas le publier : car je peux très bien lire votre commentaire sans en autoriser la publication, si cela vous agrée (mais en l’absence de précision, par respect pour vous, je publie toujours). Mais dites-moi vous aussi votre point de vue !

 Et je vous souhaite à tous une très bonne année, dans la recherche personnelle et collective de Jésus.

4 commentaires sur « Quatre évangiles (dimanche 7 janvier) »

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