Fixe ton étoile : dimanche 5 janvier.

le texte de l’évangile sur le site de l’AELF.

Pour situer le texte :

     Nous rebroussons donc chemin au premier temps de la deuxième partie, alors que nous avons eu le deuxième temps de cette même partie la semaine dernière. Je rappelle simplement que, pour Matthieu, Joseph habite Bethléem : c’est là qu’il a épousé Marie et l’a prise sous son toit, là que cette dernière a mis au monde son enfant (tout cela est dans sa première partie). Nous sommes maintenant environ deux années plus tard. Rappelons-nous aussi que nos auteurs n’avaient pas le moindre renseignement sur les origines de Jésus, qui restaient énigmatiques : on le disait né à Bethléem, mais on le disait aussi Nazaréen. On connaissait sa mère Marie, et l’on se rappelait du nom de son père, Joseph. Ils ont essayé d’imaginer. Ils n’ont pas été les seuls : « l’Evangile de Jacques », par exemple, qui n’a pas été retenu comme canonique, a été particulièrement fourni en la matière.

     Mon cailloux blanc de cette fois-ci sera un ricochet ! J’ai déjà commenté ce même passage deux fois, puisqu’il nous est resservi tous les ans : il y a deux ans, j’avais essayé de relever un certains nombre de détails tous au long de l’épisode qui me paraissaient en éclairer le sens (Dimanche 7 janvier : une longue quête.) ; l’année dernière, j’avais interviewé Joseph (Interview exclusive : dimanche 6 janvier.). Cette année, je voudrais m’attacher plus particulièrement au passage des mages à Jérusalem…

Mon modeste commentaire :

     Les Mages passent à Jérusalem : cela nous est dit dès la première phrase. Et ce passage à Jérusalem occupe 66,8% du passage : cent quarante-sept mots sur deux cent-vingt (en grec) ! C’est dire si, aux yeux de Matthieu, ce moment est important. « Or une fois Jésus né à Bethléem de Judée dans les jours d’Hérode le roi, voici : des mages arrivèrent depuis l’Orient à Jérusalem, … » Les mages, donc, c’est-à-dire des sortes de prêtres Mèdes (peut-être les ancêtres des Kurdes d’aujourd’hui) généralement consultés pour lire l’avenir dans les astres, arrivent d’Orient à Jérusalem. Ils n’ont pas de pouvoir pour provoquer les faits, ceux-ci sont déjà accomplis, et même depuis un bon moment puisqu’ils ont mis deux bonnes années pour arriver jusque-là. Je dis deux bonnes années, parce que Hérode se fera préciser par eux quand « l’étoile a brillé« , et dans sa fureur fera exécuter tous les enfants de la région « de deux ans et en-dessous« . Les mages ne sont pas présentés par Matthieu comme des « magiciens », qui pourraient opérer : ils sont plutôt des hommes de grand savoir qui obéissent à ce qu’ils découvrent.

     Mais pourquoi ces mages vont-ils à Jérusalem, ville fort antique et capitale de la Judée sous administration romaine ? Ces mages disent : « Où est le mis-au-monde roi des Juifs ? Nous avons en effet vu de lui l’étoile en Orient et nous venons nous prosterner devant lui. » Ils cherchent un roi, donc ils vont à la capitale : après tout, cela n’a rien que de très normal. Ces gens sont des savants, mais aussi des habitués du pouvoir puisque les puissants chez eux, en Perse, viennent souvent les consulter. Et ils se sont dit que logiquement, le roi des Juifs, maintenant né, devait se trouver au palais royal. Leur intention est de se prosterner devant lui, c’est-à-dire d’accomplir à son égard un geste traditionnel qui dit à la fois la révérence et l’amour : c’est charmant, mais étonnant ! Qu’est-ce qu’un roi Juif peut bien signifier pour des mages Mèdes ou Perses ? Le royaume perse est d’une antique civilisation, il est une grande puissance orientale extérieure au monde romain –et qui parfois le menace, ou s’oppose à lui. Le royaume Juif, lui, ne représente qu’une micro-puissance politique dans l’Orient ancien ; et qui plus est, il est un royaume fantoche sous la férule romaine. Pourquoi ces mages veulent-ils donc se prosterner devant un nouveau roi Juif ?

     C’est que « nous avons en effet vu de lui l’étoile en Orient« , ou encore « en Anatolie« , ou même, si l’on décompose le mot, « dans le-pays-où-se-lèvent-les-astres« . Depuis leur pays, depuis leurs études, ils ont vu quelque chose de lui : une étoile, là où toutes se lèvent. Et sans doute, c’est justement parce qu’ils l’ont vue qu’ils sont venus. C’est à cause de ce qu’ils ont perçu de lui, authentiquement de lui, qu’ils ont décidé de faire le voyage, aussi long et périlleux soit-il. Sans doute le fait qu’une étoile apparaisse, phénomène rarement observé, dit-il assez pour eux que ce « roi des Juifs » est plus important, qu’il a une portée cosmique et donc mondiale. Matthieu, notons-le, n’a pas peur de dire que les mages ont vu quelque chose de Jésus, il n’est pas dans la perspective de dénier aux mages, à ces religieux d’un autre religion, d’avoir perçu quelque chose de Jésus. Ceux qui ont les Ecritures n’ont pas le monopole de Jésus : il y a quelque chose de lui jusque pour les plus lointains, quelque chose qu’ils peuvent percevoir, et qu’ils apportent en venant eux-mêmes. Personne, à Jérusalem, n’avait vu l’étoile.

     Petite pointe polémique sous-entendue par Matthieu : ce n’est pas une configuration stellaire particulière qui a provoqué la naissance de Jésus, mais bien à l’inverse c’est la naissance de Jésus qui a fait apparaître une étoile. Matthieu en profite pour faire remarquer que l’influence va dans un sens bien particulier : tel élément cosmique permet bien authentiquement de rejoindre Jésus, mais une personne n’est pas « déterminée » par une configuration cosmique. Cela dit, l’étoile leur a permis de savoir que c’est le « roi de Juifs » qui est né : et les voilà dans la capitale des rois des Juifs.

     « Entendant cela, le roi Hérode est remué, et tout Jérusalem avec lui. » Pour Matthieu se joue déjà (c’est un des sens des évangiles de l’enfance, chez lui comme chez Luc) le drame de Jésus avec Jérusalem : ce devrait être le lieu du triomphe de Jésus et de son règne, mais c’est le lieu de son rejet. C’est hors de la ville et crucifié qu’il aura droit au titre de « Roi de Juifs », donné par dérision et comme un motif de condamnation. La parole naïve des mages provoque un immense remue-ménage, chez Hérode mais même dans tout Jérusalem. Ce que j’ai traduit par « remué« , le verbe [tarassoo], est employé pour l’action de mélanger les ingrédients constitutifs  d’un médicament, pour la mer qui bouillonne ou que les vagues soulèvent, pour le sol quand il tremble, pour de forts désordres intestinaux, pour des frayeurs qui causent un tourment profond et empêchent de dormir. L’annonce de la royauté de Jésus n’a pas fini de bouleverser au pays du pouvoir : il remet en cause un ordre bien établi. Non pas l’idée d’ordre (encore que… on pourrait y réfléchir aussi, mais cela nous entraînerait trop loin), mais cette sorte d’ordre qu’un pouvoir établit : un état de fait où ce qui domine ne se laisse pas déloger. On observe cela aujourd’hui aux quatre coins de la planète : des  mouvements contestataires essayent de faire tomber des pouvoirs en place, mais leur succès est toujours incertain. Cette contestation en passe souvent par une phase de violence, que le pouvoir en place se fait fort de réprimer par une violence plus grande encore, qui apparaît pour cela légitime mais masque la violence fondamentale faite par ce pouvoir et qui est la cause de la contestation. A part dans de rares cas, le pouvoir n’est jamais l’emprise d’un seul homme, mais plutôt de toute une classe d’individus –ce qui est plus difficile à percevoir : mais c’est ce qui assoit l’emprise et la rend forte et difficile à renverser. Ici, ce n’est pas que Hérode qui est « remué« , mais aussi « tout Jérusalem avec lui« .

     Que va-t-il se passer ? « Et rassemblant tous les grands-prêtres et les scribes du peuple, il cherche à savoir auprès d’eux où doit naître le messie. Eux lui disent : en Bethléem de Judée. D’elle est-il en effet écrit par le prophète : « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit parmi les chefs-lieux de Juda ! Car c’est de toi que sortira un chef qui sera le berger de mon peuple Israël ». Les mages ont leurs sources, Hérode a les siennes. Son premier réflexe est d’enquêter. Il traduit tout de suite la question des mages dans sa propre langue religieuse : le « roi des Juifs », c’est le messie, c’est forcément le roi attendu. Cette attente de salut traduit dans le champ politique, Hérode a déjà tenté de la détourner à son profit, et un petit parti tenait que c’était lui, le messie. Mais là, on vient lui parler d’un autre : celui-là est une vraie menace, et pas un petite, parce que si le rival se justifie religieusement, s’il peut revendiquer plus authentiquement qu’Hérode d’être celui que les prophète ont annoncé, il est sûr d’entraîner tout le monde à sa suite. C’est donc chez les autorités religieuses, aussi bien celles qu’il a à sa main (Hérode avait substitué des familles de prêtres originaires d’Egypte ou de Babylonie aux familles traditionnelles de prêtres) que celles qui sont écoutées par le peuple, qu’il va chercher sa réponse : le « roi des Juifs » n’est pas né à Jérusalem, il le saurait. Mais où alors ? On lui répond : à Bethléem, en s’appuyant sur le prophète Michée (cité assez librement, comme souvent chez Matthieu). Bethléem, c’est la ville de David, par naissance, avant que Jérusalem ne devienne la ville de David, par conquête. Dans la confrontation de ces deux villes, il y a l’évocation d’un conflit de légitimité.

     Hérode a son renseignement, « Alors Hérode, traîtreusement, les mages convoqués, se fait préciser auprès d’eux le temps de l’apparition de l’étoile, et en les envoyant à Bethléem dit : en allant, enquêtez avec précision au sujet de l’enfant : et quand vous l’aurez trouvé, faites-moi votre rapport pour que moi aussi j’aille me prosterner devant lui. » Hérode a besoin de tout savoir : savoir, c’est pouvoir. Qui veut travailler sur soi pour ne pas céder à la tentation du pouvoir, devra travailler à la tentation de savoir : ce n’est pas facile de se contenter de ce que l’on nous a dit, pas facile d’accepter d’ignorer… Et combien nos questions, sous couvert de manifester notre attention,  manifestent aussi notre intérêt (au double sens du terme) et sont animées d’un désir de savoir, de prendre le contrôle ! J’ai traduit [lathraa] par « traitreusement » : on pourrait traduire aussi en cachette, secrètement, ou encore insensiblement, peu à peu. C’est le même mot que celui indiquant le mode par lequel Joseph avait résolu de se séparer de Marie : mais on voit bien que l’intention n’est pas la même ! Là c’était un amour révérant un mystère, ici c’est une condition d’exercice du pouvoir. En gardant pour lui seul certains renseignements, Hérode assure son pouvoir. Il a besoin de savoir l’âge approximatif de son rival. Ensuite il donne le renseignement qu’il a lui-même, mais c’est pour tenter de mieux manipuler les mages. Il cherche à faire d’eux des agents de renseignement, et déjà il attend un rapport. Il prétexte une intention semblable à celle des mages, mais dans sa bouche, la prosternation, littéralement le baiser-en-s’inclinant, évoque déjà le baiser de Judas…

     Que font les mages ? Ils sont sans doute surpris de ne pas trouver le roi dans la capitale, surpris de voir l’agitation que provoque leur question. Ils ne peuvent pas ne pas avoir conscience, habitués qu’ils sont à côtoyer les milieux de pouvoir, de l’atmosphère de complot et de trouble qui règne désormais dans la capitale. « Eux, qui ont entendu du roi, s’en vont et voici l’étoile, celle qu’ils avaient vue en Orient : elle les faisait avancer, jusqu’à ce qu’elle vienne à être fixée au-dessus d’où était l’enfant. » Je pensais, et j’ai écris dans mes deux cailloux précédents sur ce sujet, que les mages avaient eu besoin pour trouver Jésus d’avoir recours aux Ecritures, que sans elles ils n’eussent pas trouvé Bethléem. Je me suis trompé. En fait, il y a fait bien un renseignement précieux dans les Ecritures : mais ce renseignement est inaudible étant donnée l’atmosphère dans laquelle il est délivré. Ainsi de l’inaudibilité de l’évangile quand il est porté par un climat de pouvoir, ou de prise de pouvoir, ou de défense de son pouvoir. Ce que les mages ont entendu de l’Ecriture les chasse, les fait partir, fuir même.

Autun songe des mages
Cathédrale d’Autun, chapiteau. Voir une représentation qui ne fait pas partie du texte ! Mais elle en traduit magnifiquement le sens. L’ange touche le mage : à travers la naissance de l’étoile, c’est un véritable toucher, une incarnation de l’appel divin. Quelque chose qui réveille. Et le messager pointe cette étoile : regarde-la, fixe-la, tu y trouveras celui que tu cherches, c’est déjà sa présence!

     Ils reviennent à ce qu’ils savaient, à l’étoile. Etait-elle devenue invisible ? C’est peu probable. Je crois plutôt que, peu certains de la valeur de ce qu’on leur a dit au palais, réduits à ce seul moyen, ils le scrutent encore plus attentivement : c’est maintenant qu’ils découvrent en elle quelque chose de plus, qu’elle indique elle-même un lieu. Ce qu’ils ont perçu de Jésus dans leur éloignement est suffisant, pourvu qu’ils s’y attachent et creusent cette source. Ils y trouvent de quoi avancer et se repérer. « Regardant l’étoile, ils se réjouissent d’une immense joie profondément. » La joie, c’est le sentiment qui naît d’un bonheur présent. Ainsi pour eux : l’étoile n’est pas Jésus, n’est pas l’enfant qu’il cherchent. Mais quand ils découvrent qu’elle leur indique où le trouver, qu’elle est encore plus étonnante qu’ils ne l’avaient d’abord cru, qu’elle va les mener à coup sûr au terme de leur quête, la joie est totale et définitive, déjà. Ils sont habités par l’anticipation du terme de leur quête, et chercher c’est déjà trouver.

     Et les mages vont, et trouveront « l’enfant et sa mère« , comme Joseph veillait sur « l’enfant et sa mère« . Ils sont conduits au cœur de ce qui est confié si précieusement à la garde de Joseph. Finalement, ce passage par Jérusalem qui prend tant de place dans le récit montre peut-être ce qui prend trop de place dans nos vies et trouble notre quête. Chercher nous fait trop facilement avoir recours au pouvoir : à ceux qui peuvent, à ceux qui savent ; nous efforcer nous-mêmes de savoir et de pouvoir. Mais c’est une perte de temps : les indices qui nous ont mis en route, aussi ténus soient-ils, comportent s’ils sont authentiques tout ce qu’il faut pour que notre quête soit menée à terme. Regarder son étoile, scruter sa vocation, approfondir toujours ce qui nous a motivé d’abord, ce qui a provoqué dans notre vie un ébranlement nouveau : c’est là que nous trouvons tout, et plus encore que nous n’osons imaginer. Là que nous trouvons aussi la joie, la joie profonde. Eh bien, cher lecteur, si j’ai un vœu à formuler pour toi et les tiens cette année, c’est celui-là : prends conscience de ton étoile, scrute-la sans cesse, reviens-y avec confiance, et découvre ta joie !

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