Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Il est beaucoup question, dans ce texte, de « voir » et de « croire ». C’est d’ailleurs le cas dans tout ce chapitre XX de l’évangile selon Saint-Jean (je vais du coup me permettre de le suivre dans son ensemble, c’est-à-dire de reprendre le texte avant celui que nous avons aujourd’hui).

Et sans doute ce thème, ou ce rapport, est-il d’une grande actualité à l’époque de la « post-vérité ». Si chacun peut avoir « sa » vérité, sans que celle-ci n’ait plus de référence objective et vérifiable, si des données scientifiques ou vérifiables n’ont plus d’importance ou bien sont légitimement soupçonnables d’être tendancieuses, le « voir » n’a plus aucune espèce d’importance, seul compte le « croire ». Mais celui-ci, à son tour, en quoi consiste-t-il ? Est-il autre chose que l’expression de mon appréhension du réel, ou même de mon interprétation du monde ?
On voit que la Résurrection, fondement premier de la foi, est, dans ce régime de « vérité », quasiment impossible à rejoindre : elle est une version parmi d’autres du réel, elle est une interprétation -celle qui a réussi. Qu’est-ce que cela change pour le croyant ? Après tout, il n’y a qu’à laisser dire… Mais non, c’est impossible. Car si telles sont les choses, la Résurrection n’a aucun pouvoir de changer les choses -ce qui semble corroboré par deux mille ans d’histoire ! Elle a encore moins le pouvoir de changer ma vie, puisque c’est moi qui suis à l’origine de cette interprétation, ou qui la fait mienne -ce qui revient au même. Revenons au texte de Jean…
Tout y commence avec Marie la Magdaléenne qui « aperçoit la pierre enlevée du [mnèméïon], du tombeau ». Elle en est troublée, court aux disciples leur dire ce constat pour ajouter un « nous ne savons pas » (où on l’a mis). Jusqu’à présent, l’ « apercevoir » conduit à la fin du « savoir ». Deux disciples se rendent du coup au tombeau à leur tour, le plus jeune arrivant le premier, qui après s’être penché vers l’intérieur du tombeau (ce que n’avait pas fait Marie), « aperçoit le linceul affaissé ». Pierre arrivé sur ces entre-faits entre et cette fois « examine le linceul affaissé, et la mentonnière » non pas posée sur le linceul (comme l’aurait fait un tiers qui volerait le corps) mais « roulée à part, à sa place », c’est-à-dire toujours dans sa forme entortillée puis mise en boucle autour de la tête… sauf qu’il n’y a plus de tête dedans. On a désormais bien plus de détails sur ce qui était à « apercevoir », sur ce que les sens pouvaient percevoir et sur ce qu’une observation attentive pouvait déduire. En matière de « savoir », c’est surtout l’élimination qui domine implicitement : l’intervention d’un tiers semble impossible, les linges étant tous comme on les dispose sur un cadavre… sauf que le cadavre n’est plus là. Le « savoir » est surtout négatif.
L’autre disciple rentre à son tour, et, nous dit Jean, « et il vit et il crut ». Les deux « et » (on oublie souvent de traduire le premier) ne font pas qu’établir une coordination, voire une succession, entre ces deux actes : ils semblent bien plutôt les distinguer ! Et c’est la première fois qu’interviennent chacun de ces deux verbes, qui semblent chacun dans un statut spécial ! Et l’explication qu’en donne Jean suit immédiatement : « Jusque-là en effet ils ne savaient pas l’écriture selon laquelle il fallait qu’il se relève d’entre les morts » : retour d’un « savoir », exactement le verbe employé initialement par Marie. Le « nous ne savons pas » est devenu un « savoir » par le biais de plusieurs choses : des constats visuels réfléchis d’une part, le lien avec les Ecritures d’autre part. C’est cet ensemble qui donne d’une part le « voir », d’autre part le « croire ». Mais on n’en sait pas encore beaucoup plus sur ce que sont chacun de ces actes. Continuons notre lecture.
Restée sur place, Marie se penche à son tour et « examine » à son tour : « deux messagers en blanc, siégeant l’un à la tête, l’autre aux pieds, de là où était le corps ». L’examen attentif ne fait pas apercevoir les mêmes choses à chacun ! Voilà un renseignement précieux pour nous, l’examen attentif de ce que les sens peuvent percevoir n’est jamais terminé et ne peut être assuré par un seul, ni même par deux (alors que la Loi est que deux témoins -des hommes, forcément !- suffisent). A leur question : « Femme, que pleures-tu ? », elle reprend son « je ne sais pas » (seule différence, le « nous » est devenu « je »). Et puis elle se retourne et « examine » Jésus qui était debout mais « elle ne savait pas » que c’était lui. Examiner ne lui permet pas de reconnaître, ne lui fait pas « voir » ! La mise en scène de Jean est extrêmement frappante puisqu’elle ne reconnaît pas celui qu’elle cherche et qu’elle pleure et qu’il lui parle ! Pas de « savoir », pas de « voir ».
Ce n’est qu’après qu’elle ait été appelée de son nom que Marie est retournée, qu’elle reconnaît son « petit maître » ou « maître chéri », qu’elle entend son message et devient elle-même messagère. Et aux disciples elle dit cette fois : « J’ai vu le seigneur, et il m’a dit ces choses-là. » C’est un « voir », mais on ne parle pas du fait de « croire ». Le message qu’elle porte n’est pas « Je suis ressuscité » mais comme son sens ou sa dynamique : « Je monte vers mon père et votre père et mon dieu et votre dieu ». Pour le jeune disciple, on avait un « voir » et un « croire », sans explication. Pour Marie on a un « voir », accompli (un « j’ai vu », achevé) mais aucun « croire » : la chose est-elle absente, ou bien est-ce la rencontre et son retournement qui en tiennent lieu ?
Épisode suivant (nous rejoignons le texte d’aujourd’hui 😛) : les disciples enfermés, comme l’était leur maître au tombeau, l’ont au milieu d’eux qui leur parle et leur montre ses mains et son côté. Alors ils « voient le seigneur » et s’en réjouissent. Et ils sont à leur tour faits messagers. Comme pour Marie, un « voir » mais pas le mot « croire » : là aussi, une expérience qui en tient lieu ?
Et voilà l’épisode Thomas. Les disciples vont lui dire les mots mêmes que Marie leur a dit : « Nous avons vu le seigneur ». On ne sait pas quelle était leur propre réaction au message de Marie, en revanche on a celle de Thomas : il veut voir « dans ses mains les marques des clous » et lancer ses doigts dans les mains, et sa main dans son côté, sans quoi il « ne croira pas ». Personne ne lui a parlé de « croire », c’est lui qui le mentionne, et comme un aboutissement. L’apparition suivante du seigneur lui enjoint précisément d’avancer son doigt et de « voir », d’avancer la main et d’entrer dans son côté, et de devenir « non non-croyant mais croyant », à quoi Thomas répond par une confession : « Mon seigneur et mon dieu ».
La conclusion du Ressuscité : « Parce que tu m’as vu, tu as cru : heureux ceux qui ne voient pas et qui croient. » Voir et croire se succèdent ici, mais l’un peut advenir sans l’autre, et c’est même mieux. La conclusion de Jean : « De nombreux autres signes, donc, ont été faits par Jésus devant ses disciples, qui ne sont pas écrits dans ce livre ; ceux-là néanmoins sont écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ le fils de dieu, et afin qu’en croyant vous ayez la vie en son nom. » Retour des écritures. Et surtout, autre voie pour ceux qui ne « voient » pas : il y a des signes choisis par l’auteur qui doivent permettre ce fameux croire sans voir.
J’ai été long, désolé. Que tirer de tout ceci ? A chacun de méditer, et j’invite vraiment au partage de vos conclusions en laissant un commentaire. Et lisez les commentaires les uns des autres, qui devraient apparaître à la suite de ceci. Pour moi, il me semble que le « voir » est fondé sur une observation sensorielle, attentive, qui nécessite les sens de plusieurs, mais il faut aussi plus que cela, il faut une pensée, il faut des recoupements avec d’autres choses, et notamment avec des écrits. Le « voir » est le résultat d’une interprétation où se croisent des constats vérifiés, des reflexions et des lectures -c’est-à-dire le témoignage d’autres. C’est une mise en commun jamais fermée à laquelle tous participent. Autrement dit, la subjectivité de chacun est assumée, mais elle est versée au pot commun avec la conviction qu’on doit pouvoir se mettre d’accord. Les reflexions critiques ont aussi leur place. Le voir est une recherche. Quant au « croire », je pense qu’il est rencontre, qu’il est le fruit d’un désir : c’est une autre dimension de l’être qui est sollicitée. Et qui rend heureux. Mais c’est justement cette dimension qui ne se contente pas de peu, qui veut du vérifiable, qui ne veut pas se donner à elle-même ce qu’elle désire. La foi exige du vrai, du verifié, elle veut rencontrer un autre, pas une projection de soi. Une rencontre qui retourne, qui surprend, qui intimide. La présence d’un autre, aimé.
Anciens commentaires : la rencontre de Jésus avec ses disciples enfermés, l’épisode Thomas, les deux versets de conclusion et l’idée de signe, enfin les disciples et leur expérience.
Cher Benoit, difficile de laisser ton vibrant appel sans réponse, mais difficile aussi de répondre à ton commentaire que je ressens bien complexe pour moi ! Alors je dis juste ce qui me frappe aujourd’hui.
Les apôtres réunis, qu’on oppose souvent à St Thomas, ne reconnaissent pas Jésus spontanément : « Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. » et seulement alors « Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur ». L’auraient-il reconnu sans ça ? il a bon dos St Thomas !
Et si Jésus ne se révèle pas, Marie non plus ne reconnait pas son Rabbouni;
Et sans la fraction du pain, les pèlerins d’Emmaüs ne reconnaissent pas Jésus.
Même voir ne suffit pas pour croire … comme tu le dis pour St Jean, il faut et voir, et croire !
Mais, pour tous, Jésus se laisse reconnaitre à travers des évocations de moments de vie ensemble : pour Marie, il m’appelle par son nom; pour ses disciples, il montre ses plaies; pour les disciples d’Emmaus, il rompt le pain.
Et moi aujourd’hui ??? mon quotidien avec Jésus est-il suffisamment riche pour que je puisse l’y reconnaitre ???
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